I. Contexte
L’affaire oppose une société monégasque à plusieurs entités d’un groupe. Les contrats conclus en 2018-2019 pour des travaux immobiliers prévoyaient :
- la loi monégasque, et
- une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux de Monaco, pour les contrats liant la société monégasque à une société irlandaise.
Lorsque divers manquements sont allégués, la société monégasque choisit néanmoins de saisir les
juridictions françaises, assignant non seulement la société irlandaise mais aussi d’autres entités du groupe basées en France ou aux Émirats arabes unis, ainsi que son dirigeant.
Cette stratégie procédurale visait manifestement à
contourner la clause attributive en invoquant la compétence de la juridiction du domicile de l’un des codéfendeurs français (C. pr. civ., art. 42, al. 2).
II. La pluralité de défendeurs peut-elle neutraliser une clause de juridiction étrangère ?
L’enjeu est classique mais délicat :
- d’un côté, l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile permet, en cas de pluralité de défendeurs, de saisir la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux ;
- de l’autre, les principes régissant la compétence internationale imposent que la clause attributive de juridiction étrangère, lorsqu’elle est valable, s’impose aux parties.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait admis la compétence française en retenant :
- l’indivisibilité du litige,
- l’imbrication des prestations,
- la direction centralisée par le dirigeant,
autant d’éléments justifiant selon elle une compétence unique.
Elle adoptait ainsi une lecture extensive du critère d’indivisibilité pour
écarter la clause étrangère au profit d’un traitement unifié du litige.
III. La solution : la Cour de cassation réaffirme la primauté de la clause attributive de juridiction
La Cour casse l’arrêt d’appel :
Une clause attributive de juridiction étrangère, valablement stipulée, prime sur la compétence spéciale du tribunal du domicile de l’un des codéfendeurs — même en cas d’indivisibilité ou d’interdépendance des contrats.
Autrement dit :
- L’article 42, al. 2 ne peut pas être utilisé pour neutraliser une clause attributive de juridiction.
- La présence de parties additionnelles ou de prestations imbriquées n’altère pas l’effet impératif de la clause.
La Cour rappelle ici un principe constant, mais qu’il est utile de réaffirmer : la compétence internationale s’apprécie
d’abord à l’aune de la volonté contractuelle.
IV. Une décision fidèle à la logique des clauses internationales
1. La prévisibilité comme pilier du commerce international
Les clauses attributives de juridiction ont pour fonction de garantir aux parties une
sécurité juridique dans un environnement contractuel transnational. Leur validité serait largement vidée de sens s’il suffisait d’adjoindre des codéfendeurs pour en neutraliser l’effet.
La Cour protège donc :
- la prévisibilité contractuelle,
- la stabilité des choix de juridiction,
- le respect de la liberté contractuelle internationale.
2. L’indivisibilité : un critère trop volatil pour écarter une clause claire
En retenant l’imbrication des prestations et la direction de M. [N], la cour d’appel conférait à l’indivisibilité une portée disproportionnée.
La Cour de cassation, à juste titre, rappelle que :
- l’indivisibilité est un critère de compétence interne,
- mais ne peut pas prévaloir sur une clause internationale, même si les contrats sont liés ou exécutés en coordination.
Sauf fraude manifeste (absente ici), l’indivisibilité
ne permet pas de rompre l’économie contractuelle voulue par les parties.
Conclusion
La Cour de cassation, fidèle à une jurisprudence ferme mais essentielle, réaffirme que
les clauses attributives de juridiction étrangères priment sur les mécanismes internes de compétence, y compris en cas de pluralité de défendeurs ou d’interdépendance contractuelle.
L’arrêt protège à la fois :
- la liberté contractuelle internationale,
- la prévisibilité des litiges transnationaux,
- et la rationalité du commerce international.
Il constitue un
rappel salutaire pour les acteurs économiques comme pour les juridictions du fond : la volonté des parties demeure la boussole principale en matière de compétence internationale.