Le Dahir n° 1-18-19du 5 joumada II 1439 (22 février 2018) portant promulgation de la loi n° 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes vient renforcer les dispositions applicables aux violences faites aux femmes et a le mérite de reconnaître certaines formes d’abus que de nombreuses femmes subissent de la part de leurs maris et de leurs familles.
1- Les dispositions de la nouvelle loi
La loi a le mérite de définir les violences faites aux femmes, la violence corporelle, la violence sexuelle, la violence psychologique et la violence économique, afin de permettre à tout acte, abstention, négligence, etc correspondant à ces définitions d’être puni.
A l’article 404 du Code pénal, la loi prévoit enfin comme circonstance aggravante en cas de violences corporelles le fait que les coups soient portés « à une femme en raison de son sexe ou à une femme enceinte, lorsque sa grossesse est apparente ou connue de l’auteur, ou en situation de handicap ou connue pour ses capacités mentales faibles« .
L’article 431 relatif à la non assistance à personne en danger voit les peines passer de 3 mois à 5 ans et 200 à 1.000 dirhams d’amende à l’emprisonnement de trois à deux ans et une amende de 2.000 à 10.000 dirhams. De plus, dorénavant, « la peine est portée au double lorsque l’auteur est un époux, un fiancé, un conjoint divorcé, un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un tuteur ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge ou lorsque la victime est un mineur ou une personne en situation de handicap ou comme pour ses capacités mentales faibles ainsi qu’en cas de récidive. »
L’article 446 relatif à la violation du secret professionnel par les médecins, chirurgiens ou officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes ou toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions permanentes ou temporaires, des secrets qu’on leur confie, est modifié pour rendre la faculté de fournir leur témoignage une obligation : « Citées en justice pour affaires relatives aux infractions visées ci-dessus, lesdites personnes sont tenues de fournir leurs témoignages qu’elles peuvent, le cas échéant, déposer par écrit.«
L’article 480 du code pénal étend les dispositions relatives à l’abandon de famille à l’expulsion du foyer conjugal. Le délai laissé à la personne pour s’exécuter passe néanmoins de 15 à 30 jours.
Le harcèlement sexuel est désormais puni à l’article 503-1 d’une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans au lieu de 1 à 2 ans.
S’agissant toujours des peines, l’article 61 du code pénal relatif aux mesures de sûreté est modifié pour prévoir l’interdiction au condamné d’entrer en contact avec la victime et la soumission du condamné à un traitement psychologique approprié.
La peine d’emprisonnement d’un à 5 ans applicable à toute personne qui aide ou assiste quelqu’un au suicide est portée au double « lorsque l’infraction est commise contre un mineur ou une femme en raison de son sexe ou commise par un époux contre son conjoint ou lorsque l’auteur est un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un conjoint divorcé, un fiancé, un tuteur ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge. »
De nouvelles dispositions sont intégrées au code pénal, à savoir :
Article 88-1: « En cas de condamnation pour harcèlement, agression, exploitation sexuelle, maltraitance ou violences commises contre des femmes ou des mineurs, quelle que soit la nature de l’acte ou son auteur, la juridiction peut décider ce qui suit:
1.Interdire au condamné de contacter la victime ou de s’approcher du lieu où elle se trouve ou de communiquer avec elle par tous moyens, pour une période ne dépassant pas cinq ans à compter de la date d’expiration de la peine à laquelle il a été condamné ou de la date du prononcé de la décision judicaire lorsque la peine privative de liberté a été prononcée avec sursis ou s’il a été condamné seulement à une amende ou à une peine alternative. La conciliation entre les conjoints met fin à l’interdiction de contacter la victime;
2.La soumission du condamné, au cours de la période prévue au paragraphe(1) ci-dessus ou durant l’exécution de la peine privative de la liberté, à un traitement psychologique approprié. La décision judicaire de condamnation peut ordonner l’exécution provisoire de cette mesure nonobstant toutes voies de recours. La juridiction peut interdire définitivement, au moyen d’une décision motivée, au condamné de contacter la victime ou de s’approcher du lieu où elle se trouve ou de communiquer avec elle. »
Article 88-2: « Le médecin traitant établit, tous les trois mois au moins, un rapport sur l’évolution de l’état du condamné au traitement, qu’il adresse au juge de l’application des peines, pour s’assurer de l’amélioration de son comportement et éviter de commettre les mêmes actes pour lesquels il a été condamné.Lorsque le médecin traitant est d’avis de mettre fin à cette mesure avant la date fixée, il doit informer le juge de l’application des peines au moyen d’un rapport distinct qui justifie cet avis.La victime doit être avisée du résultat du rapport du médecin traitant en vertu d’une décision du juge de l’application des peines.«
Article 88-3 : « En cas de poursuites pour les infractions visées à l’article 88-1 ci-dessus, il peut être interdit, par le ministère public, le juge d’instruction ou la juridiction, le cas échéant, ou à la demande de la victime, à la personne poursuivie de contacter la victime ou de s’approcher du lieu où elle se trouve ou de communiquer avec elle par quelque moyen que ce soit. Cette mesure demeure en vigueur jusqu’à ce que la juridiction statue sur l’affaire. »
Article 323-1 : « Est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines, toute violation de la mesure d’interdiction ou de contacter la victime, de s’approcher d’elle ou de communiquer avec elle, par quelque moyen que ce soit, ou le refus de soumettre à un traitement psychologique approprié en application des articles 88-1 et 88-3 ci-dessus. »
Article 323-2 : « Est punie d’un emprisonnement d’un à trois mois et d’une amende de 5.000 à 20.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, toute violation des mesures de protection visées à l’article 82-5-2 de la loi relative à la procédure pénale.Article 429-1-La peine prévue aux articles 425, 426, 427 et 429 du présent code est portée au double lorsque l’auteur de l’infraction est un époux qui l’a commise contre son conjoint, un conjoint divorcé, un fiancé, un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un tuteur ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge ainsi qu’en cas de récidive ou si la victime est mineur, en situation de handicap ou connue pour ses capacités mentales faibles. »
Article 436-1: « Si l’enlèvement ou la séquestration est commis par un époux, un conjoint divorcé, un fiancé, un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un tuteur ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge ou si la victime a été soumise à toute autre violence de quelque nature que ce soit, la peine privative de liberté est portée à:
1-La réclusion de dix à vingt ans, dans le cas prévu au premier alinéa de l’article 436 du présent code;
2-La réclusion de vingt à trente ans, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 436 du présent code.«
Article 444-1 : « Toute injure proférée contre une femme en raison de son sexe est punie d’une amende de 12.000 à 60.000 dirhams. »
Article 444-2 : « La diffamation proférée contre une femme en raison de son sexe est punie d’une amende de 12.000 à 120.000 dirhams. »
Article 447-1 : « Est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, quiconque procède, sciemment et par tout moyen, y compris les systèmes informatique, à l’interception, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de paroles ou d’informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs. Est passible de la même peine, quiconque procède, sciemment et par tout moyen, à la capture, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de la photographie d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans son consentement.«
Article 447-2 : « Est puni d’un emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, quiconque procède, par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, à la diffusion ou à la distribution d’un montage composé de paroles ou de photographie d’une personne, sans son consentement, ou procède à la diffusion ou à la distribution de fausses allégations ou de faits mensongers, en vue de porter atteinte à la vie privée des personnes ou de les diffamer.«
Article 447-3 : « La peine est l’emprisonnement d’un an à cinq ans et une amande de 5.000 à 50.000 dirhams, si les faits prévus aux articles 447-1 et 447-2 ont été commis en état de récidive et si l’infraction est commise par un époux, un conjoint divorcé, un fiancé, un ascendant, un descendant, un kafil, un tuteur ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge ou contre une femme en raison de son sexe ou contre un mineur.«
Article 480-1 : « Est puni d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 2.000 à 5.000 dirhams, l’expulsion de foyer conjugal ou le refus de ramener le conjoint expulsé au foyer conjugal, conformément à ce qui est prévu à l’article 53 du code de la famille. La peine est portée au double en cas de récidive. »
Article 481-1 : « Dans les cas prévus aux articles 479, 480 et 480-1 du présent code, le retrait de la plainte met fin aux poursuites et aux effets de la décision judicaire ayant acquis la force jugée, si elle a été prononcée. »
Article 503-1-1 : « Est coupable de harcèlement sexuel et est puni d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams ou de l’une de ces peines, quiconque persiste à harceler autrui dans les cas suivants:
1.Dans les espaces publics ou autres, par des agissements, des paroles, des gestes à caractère sexuel ou à des fins sexuelles;
2.Par des messages écrits, téléphonique ou électroniques, des enregistrements ou des images à caractère sexuel ou à des fins sexuelles.La peine est portée au double si l’auteur est collègue de travail ou une personne en charge du maintien de l’ordre et de la sécurité dans les espaces publics ou autres. »
Article 503-1-2 : « La peine est l’emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams, si le harcèlement sexuel est commis par un ascendant, un proche ayant avec la victime un empêchement à mariage, un tuteur, une personne ayant autorité sur la victime ou ayant sa charge ou un kafil ou si la victime est un mineur. »
Article 503-2-1 : « Sans préjudice de dispositions pénales plus sévères, est puni d’un emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de 10.000 à 30.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque contraint une personne au mariage en ayant recours à la violence ou à des menaces. La peine est portée au double, si la contrainte au mariage, en ayant recours à la violence ou à des menaces, est commise contre une femme en raison de son sexe ou contre une femme mineure, en situation de handicap ou connue pour ses capacités mentales faibles. La poursuite ne peut être engagée sur plainte de la personne lésée. Le retrait de la plainte met fin aux poursuites et aux effets de la décision judiciaire ayant acquis la force de la chose jugée, si elle a été prononcée. »
Article 526-1 : « Est puni d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines, l’un des conjoints en cas de dissipation ou de cession de ses biens de mauvaise foi, avec l’intention de nuire à l’autre conjoint ou aux enfants ou de contourner les dispositions du Code de la famille concernant la pension alimentaire, le logement, les droits dus résultant de la rupture de la relation conjugale ou la répartition des biens. La poursuite ne peut être engagée que sur plainte du conjoint lésé.Le retrait de la plainte met fin aux poursuites et aux effets de la décision judicaire ayant acquis la force de la chose jugée, si elle a été prononcée. »
Article 82-5-2 : « Outre les mesures prévues aux articles 82-4 et 82-5 ci-dessus, les mesures de protection suivantes sont prises immédiatement dans les affaires de violences commises contre des femmes:-ramener l’enfant soumis à la garde avec la personne assurant sa garde au logement qui lui est désigné par la juridiction;-avertir, dans le cas de menaces de recourir à la violence, la personne proférant les dites menaces de ne pas passer à l’acte, avec l’engagement de ne pas commettre d’agression;-avertir l’agresseur qu’il lui est interdit de disposer des biens communs des époux;-placer la victime dans des centres d’hospitalisation aux fins de traitement;-ordonner de placer la femme battue qui a besoin et qui le désire dans les établissements d’accueil ou des établissements de protection sociale. »
Afin d’assurer une protection effective, la loi, en plus de prévoir la mise en place de cellules dans les tribunaux de première instance et de commissions locales, régionales et nationale, permet aux autorités publiques de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de la prévention des violences faites aux femmes. A cet effet, les autorités publiques veillent à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et de programmes visant la sensibilisation aux risques des violences faites aux femmes et l’amélioration de l’image de la femme dans la société et œuvrent à la prise de conscience de ses droits.
2- Sur les insuffisances de la loi
Il est regrettable de relever que toutes les mesures prévues par la réforme sont conditionnées par l’introduction d’une plainte. Porter plainte est une démarche difficilement acceptée par la victime qui pensera souvent à épargner le père de ses enfants, sans que cette même personne ne puisse bénéficier de mesures de protection adéquates. De plus, de nombreuses femmes qui sont allées porter plainte pour violence domestique sont simplement sommées de retourner à leurs agresseurs. Une fois qu’elles ont porté plainte, si un accompagnement adéquat n’est pas mis en place, les victimes peuvent retirer leur plainte.
Il est à noter que la femme en situation de violence fait face à un élément d’urgence. L’épouse sollicitant le retour au domicile conjugal se trouve à la rue, parfois avec un ou plusieurs enfants, ce qui représente un danger tel qu’elle finit souvent par se plier aux exigences de l’époux violent et accepter un quotidien dangereux pour elle et ses enfants.
Sur le terrain, les juridictions exigent la production d’un certificat médical pour des violences qui peuvent être anciennes, sans pour autant être prescrites, ou des violences psychologiques difficilement détectables, sans que plusieurs séances de traitement ne soient assurées, sans que la victime n’ait souvent le moyen de faire face aux frais qui en découlent.
Il convient de s’interroger sur l’acceptation par les juridictions de la notion de viol conjugal, sachant que le harcèlement sexuel entre époux est expressément exclu, ce qui n’est pas le cas de la violence sexuelle entre époux.
Quid de la formation des professionnels qui accueillent les victimes de violences et des magistrats? Il en est de même de la coordination entre le dossiers reçus par le tribunal des affaires sociales et le tribunal correctionnel pour que soit actionnée l’action publique à chaque fois qu’un cas de violence conjugale est relevé, ou de danger pour les enfants, mécanisme existant en pratique mais nullement appliqué…