Le co-emploi est un concept élaboré par la jurisprudence permettant de reconnaître qu’un salarié a plusieurs débiteurs des obligations découlant du Code du travail et d’imputer ainsi certaines obligations et responsabilités à une personne autre que celle qui a signé le contrat de travail.
Ce concept est principalement utilisé dans le cadre des groupes de sociétés, lorsque l’employeur initial du salarié, travaillant sous la direction d’une autre société du groupe, procède au licenciement pour causes économiques.
1 – Les conditions d’existence d’une situation de co-emploi
Le concept de co-emploi s’est principalement fondé sur l’existence d’un lien de subordination, qui peut notamment se traduire par la mise à disposition de salariés par l’employeur initial au profit d’une autre société, entraînant un transfert du lien de subordination (Cass. Soc., 18 juin 1996, n°93-40487 et Cass. Soc., 1er juin 2004, n°01-47165).
Une construction jurisprudentielle
Les conditions se sont par la suite précisées, la Cour de cassation faisant référence à un faisceau d’indices permettant de qualifier une situation de confusion d’intérêts, d’activités et de direction, engendrant la reconnaissance du co-emploi : dépendance économique, détention du capital, gestion commune du personnel, contrôle des choix stratégiques, direction opérationnelle et gestion administrative de la société (Cass. Soc. 18 janvier 2011, n°
09-69199).
Précisant encore plus sa position, la Cour a posé l’obligation de preuve d’une véritable immixtion dans la gestion économique et sociale de la société employeur initial (Cass. Soc., 2 juillet 2014,
Molex).
La condition d’immixtion dans la gestion de l’employeur pose néanmoins un problème de définition. Cette notion, prévue à l’article L. 650-1 du Code de commerce concernant la situation de soutien abusif dans le cadre des procédures collectives, ne connaît pas de définition en matière de droit du travail. Il reviendra au tribunal d’en apprécier l’existence.
L’immixtion
Dans deux récents arrêts, la Cour de cassation a apprécié d’une manière stricte l’existence d’une situation d’immixtion.
Dans l’arrêt
Meggle, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel qui avait retenu l’existence d’une situation d’immixtion en présence d’une filiale avec pour objet la prospection de clientèle pour les produits de la société mère, laquelle s’est immiscée dans sa gestion en fixant ses objectifs, en prenant des décisions financières conditionnant directement sa viabilité, en appliquant les stratégies élaborées par elle, en décidant de sa dissolution, en intervenant au contrat de travail en souscrivant des assurances au profit du salarié (Cass. Soc., 4 février 2016, n° 14-24050,
Meggle).
Dans l’arrêt
Smurfit Socar, l’arrêt de la cour d’appel a été cassé pour avoir caractérisé le co-emploi en raison des liens capitalistiques et de l’identité de dirigeant entre les deux sociétés, de l’identité de siège social, et des lettres à en-tête «
Smurfit Socar » utilisées par le supérieur hiérarchique du salarié. La Cour de cassation a considéré que les indices retenus ne permettent pas de caractériser un état de subordination du salarié, et une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre cette société et sa filiale (Cass. Soc., 12 février 2016, n° 14-19723).
2- Les effets de l’existence d’une situation de coemploi
Le salarié aura un ou (rarement) plusieurs co-employeurs (la société-mère, une filiale, etc.). Il existe néanmoins un seul et unique contrat de travail (Cass. Soc., 1er juin 2004, n°
01-47165).
Chacun des co-employeurs devra indemniser le salarié licencié, peu important que la qualité de co-employeur n’ait été reconnue qu’après les licenciements, dès lors que cette situation existait au moment de leur mise en œuvre (Cass. Soc., 12 septembre 2012, n°11-12343,
Metaleurop n°1 ; (Cass. Soc., 15 février 2012, n°10-13897).
Groupes européens
Ceci est applicable en présence de groupes européens, la qualification d’une société mère de co-employeur permettant sa mise en cause devant une juridiction française par un salarié travaillant sur le territoire français, sur la base de l’article 19 du règlement n°44/2001/CE du Conseil (Cass. Soc., 30 novembre 2011, n°10-22964).
En l’absence de reconnaissance d’une situation de co-emploi, le salarié dispose de la possibilité d’engager la responsabilité de la société mère sur le terrain de la responsabilité délictuelle pour les fautes commises ayant conduit au licenciement du salarié : «
Mais attendu qu’ayant constaté que la société Sofarec, directement ou par l’intermédiaire de la société Financière GMS, avait pris des décisions dommageables pour la société X…, qui avaient aggravé la situation économique difficile de celle-ci, ne répondaient à aucune utilité pour elle et n’étaient profitables qu’à son actionnaire unique, la cour d’appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que ces sociétés avaient par leur faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en est résulté ; que le moyen n’est pas fondé » (Cass. Soc., 8 juillet 2014, n° 13-15573).
Intérêt à agir
La Cour de cassation avait déjà reconnu l’intérêt à agir du salarié en présence de sociétés en difficultés. La Cour considère que le salarié a subi un préjudice personnel, spécial et distinct qui lui octroie un intérêt à agir étranger à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, et ne relevant pas du monopole du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan (Cass. Soc., 2 juin 2015, n°
13-24714).
Que ce soit sur le fondement du droit du travail ou du droit civil, il existe bien dans notre système juridique des instruments permettant de faire face aux situations frauduleuses dans lesquelles une société serait vidée de sa substance pour profiter à son actionnaire et au détriment de ses salariés.